25 août 2015

Les Invincibles

 

Date : Mai 2014
Longeur : 15 081 mots (41 pages Word)
Personne au monde ne s’attendait à voir d’immenses météorites pleuvoir sur la Terre. Celles-ci, semblables à des cocons, ont depuis craché un flot presque ininterrompu de créatures que leurs proies ne reconnaissent que trop bien : des insectes géants. Les morts s’accumulent, et année après année, la planète se dépeuple un peu plus. Combien d’années, de décennies s’écouleront avant que cesse la menace des Invincibles ? Et qui restera-t-il pour en témoigner ?

 

6 mai 2023
New Dehli — Inde

Main dans la main, Madan et Asha sortent du cinéma en tâchant de ne pas se laisser emporter par la marée humaine. La jeune femme le regarde, un sourire sur les lèvres. Il le lui rend, puis l’interroge :

— Alors, t’en as pensé quoi ?

Elle rit avant d’avouer avec malice :

— Pas grand-chose, j’ai presque pas regardé le film.

De la masse qui grouille autour d’eux émergent autant de critiques que d’éloges de Sept Ficelles. Il lui propose d’aller prendre un milkshake à côté, ce qu’elle accepte aussitôt. Ils s’assoient et savourent chacun leur sucrerie en échangeant des regards transis. Un concert de sonneries retentit en arrachant à Madan un froncement de sourcil. Chaque téléphone sur la terrasse a émis une alerte en même temps, et tout le monde en inspecte la raison. Les écrans des téléphones de dernière génération affichent tous le même message :

« Flash Reuters : une quinzaine d’objets massifs s’approchent de la Terre. Selon les experts, leur vitesse est trop rapide pour être naturelle. »

7 mai 2023
Cloverdale — Banlieue de Vancouver — Canada

— Allez, Sam ! Va chercher !

Le chien se lance à la poursuite de la balle, l’attrape, et s’acharne sur sa surface en caoutchouc.

— Pas bien, Sam ! ‘Faut pas l’abîmer !

La voix sévère de la petite fille de sept ans suffit à calmer l’animal. Il lui rapporte l’objet et attend patiemment qu’elle la relance. La porte de la maison s’ouvre et une grande femme brune, livide, l’interpelle.

— Laura… Rentre…
— Mais pourquoi ? Il est même pas l’heure de goûter !
— S’il te plaît…

Avant qu’elle n’ait pu interroger sa mère sur sa voix tremblante, elle est interrompue par des aboiements.

— Arrête, Sam !

Mais rien n’y fait, le berger allemand s’époumone en direction du ciel.

— Laura, rentre tout de suite.

Avant que la porte ne se referme sur son terrain de jeu, la petite Canadienne voit s’étendre un voile d’ombre sur le quartier résidentiel. En levant la tête, elle aperçoit une boule géante, grise, dissimulant peu à peu le soleil.

7 mai 2023
Sibérie, Russie

Lorsque le moteur de la camionnette s’arrête, Anton est pris d’un nouveau vertige. Titubant hors de son véhicule, il guérit cette petite faiblesse en buvant une autre rasade. Autour de lui arrivent peu à peu ses compagnons chasseurs. Ceux qui l’ont précédé sont attroupés au milieu de la dense taïga. Il les rejoint et après de grandes tapes dans le dos et des échanges de vodka, leur intérêt se porte sur l’objet volant non identifié qui s’est écrasé un peu plus loin.

Mikhaïl vocifère à propos d’une météorite, et dit qu’il va en casser quelques morceaux pour les vendre sur Internet. Les yeux des uns et des autres s’éclairent d’une lueur vénale. Anton, lui, se contente de sourire bêtement. On n’a quand même pas tous les jours l’occasion de sortir entre camarades.

Chiens renifleurs devant, chasseurs ivres derrière, la troupe progresse entre les conifères pour parvenir jusqu’à l’objet de leur curiosité : une espèce de roc massif, haut d’une centaine de mètres, qui dégage une odeur épouvantable.

— Il shlingue, ton astéroïde, Mikhaïl !
— C’est p’tet une boule puante de l’espace.
— Ça ressemble pas à d’la pierre.

Piotr s’approche lentement de l’immense objet chu des cieux. Il le touche avant de retirer brusquement sa main.

— Putain, c’est visqueux ! Même Kana elle veut pas renifler tellement c’est dégueu !

La chienne aboie pour appuyer ses propos.

— On devrait se grouiller d’en piquer un morceau avant que les blouses blanches se pointent.

En guise de réponse, Anton arme son fusil et vise la surface molle de son énorme cible. La détonation fait sursauter ses camarades, mais le mur organique reste presque intact.

— Bon, on fait quoi ?
— Attends, y se passe un truc.

L’impact formé par la balle s’élargit peu à peu jusqu’à atteindre une taille d’un mètre sur deux. Piotr, saoul et curieux, y penche la tête. Lorsque celle-ci se sépare de son corps, un « Oh ! » s’échappe de l’assistance enivrée. Le temps que s’esquisse leur premier mouvement de recul, le trou a déjà craché une demi-douzaine de créatures. Le bras de Vassili disparait vite entre deux mandibules et entretemps, quinze autres insectes géants se sont joints à la foule grouillante. Des araignées, des fourmis, des scarabées, des scolopendres, tous de taille humaine. En voyant un dard embrocher Mikhaïl et en entendant les cris de Sergueï, il sait que son tour est sur le point de venir. Quelque chose lui saute dessus et le plaque contre le sol. La douleur qu’il attend en fermant les yeux ne vient pas : à la place, il voit penché sur lui une araignée, qui le ligote des pieds jusqu’au buste d’une solide toile. Il tente de se débattre, mais finit par s’évanouir avant que le fil naturel recouvre son visage.

8 mai 2023
San Antonio — Texas — États-Unis

Voilà cinq bonnes minutes que Peter balaie du regard la foule inhumaine qui s’amasse en bas, et les frissons ne l’ont toujours pas quitté. Enfant, il avait la phobie des insectes, mais jamais il n’aurait cru que cette peur l’handicaperait une fois au sein de l’armée américaine. Dans son dos, les autres passagers de l’hélicoptère ne sont pas plus rassurés, et certains ont renoncé à observer la masse grouillante. À la place ils discutent, la peur au ventre, de l’opération.

— N’empêche que pour une mission de support aérien, on supporte pas grand monde au sol.
— On aurait dû, normalement, mais toutes les escouades qui ont tenté une percée se sont faites massacrer avant qu’on ait pu faire quoi que ce soit.
— Et c’est pour ça qu’on doit faire tout le boulot à leur place ?
— Pas « tout le boulot », juste un peu de reconnaissance. On a aucune chance de progresser au sol, alors il faut qu’on voie comment atteindre ce foutu cocon par les airs.

Sans autre objection à formuler, le marine répond par le silence. Tout le monde est à cran, le pilote plus que tous les autres. Le vol se poursuit à basse altitude, entre les immeubles, afin de laisser Gerald filmer les ennemis pour les besoins de l’état-major. Sans prévenir, un projectile blanc rate Peter de peu.

— Putain, c’était quoi, ça ?!

L’objet continue sa course vers un bâtiment, et forme un long fil blanc.

— Une toile d’araignée ! Ethan, remonte-nous, on est pas à l’abri, ici !
— Ç… ça marche…

Les mains du pilote tremblent, mais ses camarades peuvent difficilement lui en vouloir. Une dizaine de mètres au-dessus et après avoir évité deux autres jets de toile, l’équipe peut enfin souffler.

— Ça nous fera au moins une information à donner au commandant…

Peter plisse les yeux. De derrière un gratte-ciel surgit un nuage noir.

— Non, deux.

En moins de quinze secondes, la nuée de mouches, guêpes et autres moustiques géants a déjà vidé l’engin volant de ses occupants.

9 mai 2023
Berlin — Allemagne

La tête plongée entre ses mains, Kurtz Reinhardt reste immobile plusieurs secondes, assez longtemps pour inquiéter ceux qui l’entourent.

— M… monsieur le chancelier ?

Il lève la tête et répond d’une voix fatiguée.

— Oui, oui, j’écoute.

Comme presque tout le monde dans la salle, il n’a pas dormi depuis deux nuits. Cette réunion de crise ne fait que répéter ce que tous ici savent déjà, mais chacun — ou presque — suit malgré tout le discours du ministre de la Défense avec attention.

— Donc comme je le disais, chacun des dix-huit cocons est similaire aux autres. Les coordonnées précises des deux derniers viennent d’être communiquées, donc voici la carte mise à jour.

Sur l’écran s’affiche un gigantesque atlas où sont répartis çà et là les dix-huit pays frappés par des cocons.

— Récapitulons. Il y en a cinq en Amérique : à Vancouver au Canada, à San Antonio, aux États-Unis, sur la frontière entre le Nicaragua et le Honduras, au nord de Brasilia, et en Patagonie argentine.

Le chef des armées se déplace lentement vers la droite.

— En Afrique, on en trouve trois : au milieu du Botswana, au nord de la République Démocratique du Congo, et en plein Sahara, au croisement entre l’Algérie, la Libye et le Niger. Plus à l’Est, on a un cocon à Bagdad, un dans la campagne profonde du Kazakhstan, et puis bien sûr, les trois qui ont déjà fait le plus de dégâts, à Hyderabad, à Kunming et sur l’île de Borneo, respectivement en Inde, en Chine et en Indonésie.

Après un long soupir, le membre du gouvernement poursuit son discours.

— Sans oublier le cocon de Cloncurry, en Australie, celui de Sibérie profonde, et plus proche de nous, celui de Vienne, en Autriche. Les deux derniers qui nous manquaient sont ceux du Groenland et de l’Antarctique, dont voici les positions exactes.

Là-dessus, Friedrich Ghast s’arrête de parler et regarde le chef du gouvernement. Tous les regards se tournent vers lui. M. Reinhardt se lève lentement de son siège, rejoint la carte sous les murmures, et énonce l’évidence.

— Aucun continent n’est épargné, et les cocons se sont écrasés à des distances relativement égales les uns des autres. Vous conviendrez comme moi que cette répartition est tout sauf naturelle. Je ne suis pas le premier à faire ce constat, mais il est temps de le dire clairement : nous sommes face à une invasion menée par une espèce extraterrestre.

12 mai 2023
Fès — Maroc

Un énième bris de verre manque de le distraire, mais il tient bon. Ses collègues en font de même. Face à lui, une foule d’anarchistes en colère hurle et s’agite entre deux pillages de magasin. Ils n’ont pas les moyens de lutter contre eux. Lorsque le budget de la police a été réduit des trois quarts pour permettre à l’armée de participer efficacement aux opérations de défense nord-africaines, Hamza savait tout de suite que cela inciterait les mécontents à défier l’autorité. Ils se fichent bien de savoir que leurs frères se battent pour défendre le pays, le continent, le monde, tout ce qu’ils veulent, c’est profiter de ce qu’ils pensent être leurs derniers instants pour semer le chaos et se sentir vivre. Mais le jeune policier est serein : lorsque les armées du monde entier, aidées d’Allah, auront repoussé les envahisseurs, ces fous furieux qui se pavanent seront punis. En attendant, il faut serrer les dents.

Derrière lui, la mairie de la ville est saine et sauve, pour le moment. Protégée par une centaine de membres des forces de l’ordre, elle est le dernier bastion du quartier face à l’anarchie. Des murmures circulent autour d’Hamza, mais ils sont couverts par les hurlements de la foule d’en face.

Un sourire éclaire son visage lorsque les hooligans commencent à se disperser ; un sourire accompagné d’un doute : qu’est-ce qui a bien pu pousser ces traîtres à se décider à partir ? Ce sourire disparaît lorsqu’il constate que les adversaires ne s’en vont pas du tout. Un éclat vif, au loin, irrite sa vue, puis plusieurs grondements de moteur se font entendre. Ses collègues sont pris de panique. Ils finissent par rompre les rangs lorsque deux camions, plein phares allumés, surgissent de la foule pour foncer sur eux à toute vitesse.

13 mai 2023
Terre Adélie — Antarctique

Pour la sixième fois en une heure, l’un des scientifiques vérifie compulsivement si les portes du réfectoire sont bien verrouillées, puis retourne s’asseoir. Ils sont soixante-trois à attendre patiemment leur mort au milieu de la base scientifique. Cinquante-cinq « blouses blanches », et huit membres du personnel d’entretien ou de la restauration. Aucun d’entre eux n’a l’espoir d’en réchapper. Les seules nouvelles qu’ils ont du continent, c’est la débâcle des meilleures armées du monde, alors il y a peu de chance qu’on vienne les sauver dans ce trou glacé. Les vivres qu’il leur reste ne dureront certainement pas plus de deux semaines, mais les insectes leur seront tombés dessus avant-même qu’ils en soient réduits au cannibalisme. Les portes ont cédé les unes après les autres, et la majeure partie de l’équipe scientifique est morte sans avoir pu gagner l’ultime abri.

Jean observe ses collègues. Beaucoup prient ou tremblent en fixant les murs blancs. Un couple passe ses derniers moments blotti l’un contre l’autre. Ignacio tente de détendre l’atmosphère en enchaînant des blagues qui tombent à plat. Même leur auteur ne les trouve pas drôles, mais de son propre aveu, « Vaut mieux ça que de penser à la mort ».

Après la chute d’une pitoyable blague sur les Catalans, il finit par laisser s’imposer le silence. Celui-ci ne dure que dix minutes avant d’être interrompu par un bruit sourd qui redresse toutes les têtes. Le son se prolonge, se rapproche, et sans en connaître l’origine, tous savent ce qu’il signifie. C’est Jean qui finit par avertir le reste des survivants en se levant.

— Le conduit d’aération !

Les regards se tournent vers la ventilation. Bien entendu, ils avaient tenté de la sceller en se réfugiant dans le réfectoire, mais on barricade plus facilement une porte ou une fenêtre qu’un trou à deux mètres du sol.

Ceux qui pouvaient douter de l’affirmation de Jean sont convaincus lorsque le conduit se met à trembler. Puis plus rien. Aucun bruit. Les survivants retiennent leur souffle. La barricade vole en éclat, et du conduit tombe un long scolopendre. Les armes à feu dont disposent quelques rares élus rugissent, et l’insecte mort est remplacé par un flot ininterrompu de créatures tout aussi abjectes. Comme bien d’autres, Jean se précipite sur les portes du réfectoire, mais elles ne s’ouvrent pas plus qu’il y a dix minutes. Lorsqu’Ignacio, le dernier des soixante-trois humains, est démembré, même le plafond a abandonné sa teinte blanche pour une nouvelle peinture écarlate.

15 mai 2023
Manizales — Colombie

À peine ses paupières ouvertes, la première chose que voit Maria, c’est un énorme rat. Son mouvement de recul se heurte aux barreaux de la cage dans laquelle elle est confinée. En s’apercevant de sa situation, elle s’agite et hurle à l’aide, mais ne réussit qu’à renverser sa minuscule prison.

Terrifiée, elle tente malgré tout de comprendre comment elle est arrivée ici. La dernière chose dont elle se souvienne, c’est d’avoir quitté la maison de ses parents — en dépit de leurs avertissements — pour chercher des rations en espérant survivre une semaine de plus. L’arrière de son crâne lui fait souffrir, elle le touche et sent une énorme bosse. Reste à savoir pourquoi elle a été assommée, traînée jusqu’ici et mise en sous-vêtements. Une porte s’ouvre derrière elle, et un homme masqué s’avance et contourne la cage jusqu’à lui faire face.

— Vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous me voulez ?!

Son geôlier ne répond rien et se contente de sortir un trousseau de clés pour ouvrir la cellule portative. La première chose que tente Maria, c’est d’attaquer l’inconnu, mais il la maîtrise sans le moindre mal avant d’attacher ses mains dans son dos.

— Pourquoi est-ce que vous faites ça ?!

Des insectes géants sont en train d’exterminer les humains petit à petit, et certains se mettent encore en tête de persécuter des membres de la même race qu’eux ?! Contrainte et forcée, elle suit l’homme masqué dans un couloir insalubre. Elle distingue, à travers une porte entrouverte, un tableau noir couvert d’une giclée de sang. Les envahisseurs seraient déjà arrivés jusqu’en Colombie ? Mais alors pourquoi est-ce un être humain qui la malmène ? Plus elle essaie de comprendre, plus elle a mal à la tête, et évidemment, son guide ne cherche pas à la renseigner. Il finit par ouvrir une porte, et l’emmène avec lui sous une averse drue.

En observant autour d’elle, Maria reconnaît une cour d’école. Une trentaine d’hommes et de femmes dresse un cercle autour d’elle, tous arborant le même masque : un voile de tissu brun percé de deux trous. Sa marche cesse au milieu du groupe. En regardant le sol, elle croit d’abord être sur une marelle, mais se rend bien vite compte que les traits à la craie forment un tout autre dessin. Pendant qu’elle l’inspecte, l’un des hommes masqués s’approche d’elle, et pour la première fois, on daigne répondre à ses interrogations :

— Fille de Dieu, tu as été choisie.

Choisie ? Choisie pour quoi ? Elle sent qu’elle ne va pas aimer la réponse.

— Face au fléau divin, ni les armes, ni les mots ne fonctionnent. Il n’y a que la foi qui puisse nous sauver.

La foi ? Elle a toujours été une fille pieuse, mais à aucun moment la Bible ne recommande d’agresser, de capturer et de forcer les gens à participer à de telles messes en cas d’invasion. Les personnages masqués psalmodient en chœur une poignée de phrases en latin, sous une pluie qui n’en finit pas.

— Si jusqu’à maintenant, nos prières n’ont pas été entendues, c’est parce que nous ne comprenions pas que la miséricorde de Dieu avait un prix.

Le cercle se resserre autour d’elle. Elle l’inspecte à la recherche d’une faille, d’une brèche par laquelle s’engouffrer pour fuir, loin de cette secte dérangée.

— Ô, Tout-puissant, accepte ce sacrifice ! Qu’elle serve à te témoigner notre foi !
— Allez vous faire foutre !

Maria se jette sur la gauche, priant pour se frayer un chemin à travers les fidèles malgré ses poings liés. Elle est rattrapée au bout d’une poignée de secondes, et la dernière chose qu’elle ressent est le contact brûlant de la lame d’un couteau sur sa gorge.

19 mai 2023
Leishan — Chine

Les mains croisées dans son dos, Ji marche lentement entre les cadavres. Ceux de ses hommes, et ceux de leurs ennemis. Des horreurs venues d’on-ne-sait-où, mais qui toutes semblent être des versions géantes d’insectes terriens. Levant la tête, il balaie du regard le champ de bataille dévasté. Ceux qui s’en sont sortis indemnes sont en train d’évacuer les blessés, si bien qu’il est le seul être humain à se tenir ici, debout, devant ce vaste cimetière encore frais. Bien entendu, le village est dévasté, mais ses habitants avaient fui juste avant l’assaut.

Du pied, il tape dans un cafard géant, dont le corps criblé de balles se retourne à moitié. Le commandant est sur le point de poursuivre sa marche lorsqu’il remarque quelque chose d’anormal. Sous les ailes de la bête, deux petites membranes l’intriguent. Il n’a jamais rien vu de tel sur ce type de bestiole. Accroupi, il l’inspecte sous tous les angles. Il n’est peut-être pas scientifique, mais cette chose ressemblerait presque à… une nageoire.

Le gradé se redresse brusquement. Il va devoir faire un rapport là-dessus. Après avoir fait volte-face, il regarde au loin l’hôpital improvisé, là où se trouvait autrefois un marché. Peut-être attendra-t-il d’abord que ses troupes pleurent leurs morts et que les survivants célèbrent la première victoire de la Chine – et du monde – contre ces créatures.

24 mai 2023
Gaborone — Botswana

Le vent souffle fort, mais c’est une odeur de mort qu’il apporte vers le palais présidentiel. Yawi N’daleri ne peut rien faire d’autre qu’observer sa population se faire décimer. Du haut de son balcon, il a suivi des yeux la progression de l’armée d’insectes, submergeant quartier par quartier la ville de 220 000 habitants. Des avenues se sont remplies en quelques secondes et une série ininterrompue de cris lui parvient. Les habitants se sont barricadés chez eux sans autre issue que la mort, qu’elle vienne par la faim ou par la percée d’un groupe de monstres.

C’était couru d’avance. Dès l’instant où ce fléau des cieux est tombé, son pays était condamné. Les Chinois ont gagné à Leishan, les Américains à Houston et les Européens à Genève, mais les trois meilleures armées du monde ont subi des pertes gigantesques. Quelle chance pouvait bien avoir son armée à lui, rongée par l’incompétence, l’indiscipline et la corruption ? Il a suffit d’un assaut contre Gaborone pour que ce qu’il en reste soit exterminé – si l’on excepte ceux qui se sont enfuis.

La porte de son bureau s’ouvre à la volée, et le président à vie se retourne aussitôt, à la limite de l’attaque cardiaque. La voix de Huyama l’interpelle :

— Monsieur, c’est dangereux d’être sur le balcon ! L’hélico est arrivé, il faut venir !

Ce crétin lui a filé la peur de sa vie ! Jetant un dernier regard vers sa capitale à demi-conquise, Yawi suit docilement le chef de la garde présidentielle, visiblement à cran, qui n’en finit pas de parler :

— L’hélico vous emmènera à Pretoria. Ils ont pas encore pris l’Afrique du Sud. Là, un avion devrait vous emmener à Londres. Vous serez à l’abri, là-bas.
— « Nous », vous voulez dire.
— Moi je ne viens pas, monsieur.
— Quoi ? Et pourquoi ça ?!
— Votre femme et vos deux fils sont déjà dans l’hélico. Si je viens, on sera trop et l’engin sera plus lent.
— Foutaises ! Je vous ordonne de venir avec moi !
— Si je dois mourir pour vous permettre de vous échapper, j’aurai accompli mon devoir.
— Huyama, espèce d…
— On y est, monsieur le Président.

Tout en ouvrant la porte, il lui adresse un signe de tête en guise d’adieu. Yawi est essoufflé d’avoir monté tous ces escaliers en parlant. Dehors, au milieu de l’héliport, se trouve son ticket de sortie. Il court dans sa direction et saute à bord. Sa famille, elle, lui saute au cou, mais son regard plein de détresse se porte sur son compagnon. Huyana se met au garde à vous, puis sort son fusil-mitrailleur au moment où des silhouettes monstrueuses commencent à se dessiner aux abords du toit. Le pilote n’attend pas plus longtemps et l’appareil commence à quitter le sol. Le chef d’État regarde s’éloigner la poignée d’hommes restés pour défendre le point d’évacuation. Encerclés, submergés par un rapport de force de vingt pour un, ils tirent en hurlant. Lorsque le toit se retrouve couvert d’une masse grouillante, Le président N’daleri se surprend à pleurer. Huyama combat à ses côtés depuis la sanglante rébellion qu’ils ont menée, huit ans plus tôt.

Il finit par reprendre ses esprits, et constate que le cœur de la capitale est déjà loin. Ses fils sont serrés entre leur mère et lui, fermant les yeux pour ne pas voir le carnage d’en bas. Le dirigeant déchu s’arrache à leur étreinte pour se déplacer vers l’avant de l’hélicoptère.

— Dans combien de temps est-ce qu’on sera à Pretoria ?
— Il faudra plusieurs heures, monsieur. Le plus difficile, ça va être les prochaines minutes !
— Pourquoi ça ?
— Il y en a qui peuvent voler.

Yawi ne peut s’empêcher de frissonner. Alors qu’il demandait des précisions, sa femme derrière lui se met à crier :

— Là-bas !

Les enfants hurlent à leur tour, et en se plaquant contre une vitre, le dictateur en fuite aperçoit une demi-douzaine de guêpes géantes dépasser l’engin.

— Il faut aller plus vite !

Le son d’un bris de verre se fait entendre, et la seconde qui suit, l’engin commence à perdre de l’altitude. Le dard de l’un des assaillants à transpercé la vitre pour embrocher le pilote. Couché par terre, Yawi tente de redresser l’appareil en actionnant des manettes au hasard, mais ne parvient qu’à accélérer la chute.

Lorsque le nez de l’hélicoptère touche le sol, il meurt sur le coup. Royo n’ouvre les yeux que pour voir la tête de sa mère encastrée dans une portière et le corps immobile de son grand frère. Par le trou béant de l’engin, il voit s’approcher un nuage d’insectes qui grandissent en s’approchant. Il se saisit d’un lance-fusée gisant sur le sol, et tire vers la nuée. L’explosion tue plusieurs créatures volantes, que leurs congénères ne tardent pas à venger en visant la tête.

30 mai 2023
Au large de la Nouvelle-Zélande

Voilà deux heures que personne n’a dit le moindre mot. C’est beaucoup, pour un groupe de dix-huit personnes serrées sur une embarcation de fortune, jetée dans l’océan Pacifique. La faim, la soif, la terreur sont autant de raisons pour garder les lèvres closes. La seule chose qui empêche le groupe de survivants de se jeter à l’eau, c’est le mince espoir d’atteindre une île de Polynésie, un ilot suffisamment petit pour être épargné par l’envahisseur, où ils seraient certains d’être en paix.

Lorsque Philip, qui épuise ses yeux à observer l’horizon depuis des heures, se met à s’agiter, tous croient d’abord qu’il a aperçu de la terre. Et comme chacun se jette à l’avant du navire précaire pour voir ce qu’il en est, celui-ci ballotte et manque de se retourner.

— Faites attention, bordel !
— T’as vu quelque chose, Philip ? Moi j’vois que de l’eau !
— J’ai… l’impression qu’y a un truc, de ce côté.

« Ce côté », vers lequel il pointe son doigt, ne désigne certainement pas une île. Cela semble d’abord être un rocher, mais alors que le bateau improvisé s’en approche, ses occupants s’aperçoivent que ce n’est pas le cas. Tous se plaquent à plat ventre pour éviter que l’insecte en vol stationnaire, juste au-dessus de la surface de l’eau, ne les repère. Seule Anna prend le risque de laisser dépasser son visage pour observer discrètement. Et ce qu’elle voit la stupéfie.

Le cafard volant tient entre ses pattes une araignée tout aussi grande que lui, dont le fil est plongé dans l’eau. Les deux créatures restent ainsi immobiles pendant une trentaine de secondes avant de prendre de l’altitude. Puis à l’autre bout du fil apparaît une énorme boule blanche d’où coule une cascade d’eau. La boule de toile se met à s’agiter dans tous les sens, jusqu’à ce qu’un mince trou s’y creuse, laissant apparaître la tête d’un requin. Le duo d’insectes s’envole au loin avec sa prise, laissant les humains en paix. Plusieurs d’entre eux regardent ces « pêcheurs » s’éloigner.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé, putain ?
— Ils viennent de capturer un requin…
— Mais… pourquoi ?
— Peut-être pour manger…
— Nan, pour qu’ils se donnent la peine de faire ça, il doit y avoir autre chose.
— P’tet qu’on saura jamais.

Non seulement cette scène atypique a brisé le silence qui régnait jusque là, mais elle alimente ensuite la plupart des conversations des Néo-zélandais en pleine dérive, du moins jusqu’à leur arrivée sur l’île de Norfolk.

4 juin 2023
Sibérie — Russie

À son réveil, Anton a l’impression d’avoir vécu le pire cauchemar qu’il ait jamais f. Il a rêvé qu’une sorte de boule grise bizarroïde atterrissait pas loin de chez lui. Ses amis et lui sont partis l’inspecter, ils se sont faits massacrer, et lui, il a été ligoté par une araignée effrayante. C’est à ce moment là que le chasseur s’est réveillé avec ce sentiment de lendemain de cuite, à moitié hors de son lit, comme d’habitude. Sauf qu’il n’est ni sur son lit, ni sur le sol, mais suspendu dans les airs la tête en bas. Lorsqu’il s’en rend compte, le Russe commence par s’agiter dans tous les sens pour redescendre, mais son balancement ne réussit qu’à le faire vomir.

Est-ce qu’il est dans le cocon ? Tout est noir autour de lui, mais l’obscurité n’est pas complète : il arrive à apercevoir la flaque qu’il a généré en dessous de lui. La seule chose qu’il entend, c’est un bruit qui lui parcourt l’échine. Il lui rappelle la fois où Dana, en faisant la cuisine, malaxait de la chair à saucisse dans un bol. Il lui faut attendre d’habituer sa vision aux ténèbres pour en distinguer l’origine : une grosse fourmi juste à côté de lui, en train de fouiller dans les boyaux d’un cerf suspendu par les pattes. Exactement la même position qu’Anton. Lorsqu’il tourne la tête, il aperçoit à sa droite qu’un ours et un loup partagent aussi cette posture. De temps à autres, le chirurgien sur pattes dépose un morceau de chair dans une poche organique, puis retourne à son animal éventré.

Perdu pour perdu, Anton se met à hurler à l’aide. Peut-être que s’il crie suffisamment fort, une équipe de Spetsnaz en mission va le repérer et venir l’aider. Il n’en fallait pas plus pour que l’insecte qui travaillait juste à côté se place juste en face de lui. Sa voix se perd quelque part entre sa gorge et ses lèvres. Il rassemble ce qu’il lui reste de témérité pour lancer une poignée de mots tremblants :

— T… tu vas voir… s… saloperie…

En guise de réponse, la saloperie brandit une patte recouverte de griffes, dont elle se sert pour tracer une ligne sur l’abdomen du chasseur. Toujours la tête en bas, Anton voit une poignée de tripes tomber, et un morceau vient même se coller sur son cou. Il dégurgite une nouvelle gorgée de bile lorsque la créature se met à trifouiller dans son ventre, puis ses yeux se ferment. Ce qu’il donnerait pour une petite rasade de vodka…

16 juin 2023
Sao Paulo

— Tu es sûr de ce que tu as vu ?

Le petit garçon hoche lentement la tête, le regard toujours aussi vide. L’homme et la femme qui l’interrogent échangent un regard inquiet. Le barbu se penche une nouvelle fois, prend la voix la plus douce possible, et pose une nouvelle question :

— Et tu es sûr qu’avant ça, ils ne l’ont pas… enfin… tu es sûr qu’elle était toujours vivante à ce moment-là ?

Sa collègue lui jette un regard noir, et il s’excuse immédiatement :

— Dé… désolé, oublie ce que je viens de dire.

De toute façon, Emilio n’avait pas l’intention de répondre. Il se contente de fixer le sol sans cligner des yeux. La femme s’accroupit pour se mettre à son niveau, et lui souffle avec un sourire :

— Ne t’inquiète pas, on va faire tout ce qu’on peut pour sauver ta maman.

L’homme n’a pas l’air aussi confiant qu’elle, mais il n’en dit mot. La paire de policiers ne tarde pas à le quitter, et reprend sa conversation une fois la porte fermée, sans savoir que le rescapé entend tout ce qui se dit.

— Pourquoi est-ce qu’ils captureraient des humains, ça n’a aucun sens ! Jusqu’à présent, ils se contentaient de tuer tout le monde !
— Réfléchissons. À quoi leur serviraient des prisonniers ?
— À les étudier ?
— C’est possible. Mais il reste à savoir quelles informations ils pensent en tirer.
— Peut-être que…
— Que quoi ?
— Non… non, oublie, c’est stupide. Il faut qu’on y réfléchisse sérieusement.

29 mai 2023
Alentours de Norilsk — Sibérie — Russie

Calmement, Evgueni appuie sur le bouton. L’obus qui sort du canon explose une demi-douzaine d’ennemis. Il n’y a plus rien qu’il aime mieux au monde que de voir des pattes d’insectes voler. Il quitte un instant le poste de tireur pour regarder Iouri. Jamais il ne l’a vu aussi concentré sur le pilotage du char d’assaut. Jamais il ne l’a trouvé si beau. Quand la bataille se terminera, il le lui dira. La voix du chef l’interpelle sur la radio du blindé.

— Ev’ ! Ces salopes forment une grosse masse à dix heures ! Explose-moi ça !

Il tourne le canon, puis s’exécute. Le tir touche au but, et ladite masse s’éparpille dans une giclée de sang noir.

— Putain, j’adore ça !

Seize explosions plus tard, la victoire semble proche, et le soldat s’autorise une seconde pour souffler. La voix du chef le rappelle à l’ordre.

— Evgueni, Iouri, y a quelque chose qui fonce vers vous à six heures !

Non sans un soupir, le tireur retourne à son poste et braque le canon vers la droite. Un insecte tout seul ? Le temps de lancer l’obus, la créature s’est déjà décalée pour sortir de la zone d’impact, et s’approche du blindé en prenant une trajectoire en spirale.

— Celui-là est loin d’être con !

Outre son intelligence, il y a autre chose d’étrange. Physiquement, il n’a pas l’air comme les autres. La brève seconde où il l’a eu en visuel, Evgueni a reconnu un scarabée, mais il était différent de ses congénères.

— Evgueni, grouille-toi, il est bientôt sur vous !
— Je fais ce que je peux, mais le canon est super lent à tourner !

Trop lent. Le choc brutal éjecte le soldat de sa chaise, et le char d’assaut ne tarde pas à se retourner.

— Ah, putain, il a une sacrée puissance, ce bâtard !

Iouri s’est blessé en tombant, lui aussi, mais il a l’air d’aller bien. La communication radio fonctionne toujours, et la voix du chef retentit une nouvelle fois.

— Ne quittez surtout pas l’engin ! Ce truc est juste à côté ! Accrochez-vous à quelque chose, il prend son élan pour foncer encore une fois !

Par chance, la poignée est juste à côté. Evgueni attend la secousse, qui est bien plus brutale que prévue. Il ne s’attendait pas non plus à ce que le blindage de l’engin soit perforé. Un T-90 percé par un putain d’insecte ? Du jamais vu !

Ce qu’il n’a jamais vu non plus, c’est ce scarabée géant avec des bois de cerf, qui recule pour un troisième assaut.

14 juillet 2023
Paris — France

Ils sont des centaines, comme Pauline, à regarder défiler l’armée par la fenêtre. La Marseillaise assourdit toute l’avenue, interrompue de temps à autres par un pétard lointain. Ils ont l’air fatigués, et la plupart portent les cicatrices de la victoire de Turin. Une heureuse coïncidence a voulu qu’ils soient de retour pour la fête nationale, alors les voilà marchant avec fierté dans les rues de la capitale.

— Eh ben ! Ils ont fière allure !

Derrière elle, sa mère hoche la tête sans quitter des yeux la télévision. Son grand-père, quant à lui, se lève de son fauteuil pour rejoindre l’adolescente à la fenêtre.

— Regarde-les se pavaner… Pendant qu’ils font les mariolles devant toi, le monde est en train de crever la gueule grande ouverte !
— Mais nan, on va finir par gagner !
— Ah ça, « gagner », peut-être, mais le temps qu’on se magne le fion pour les anciennes colonies, la moitié de l’Afrique se sera faite déglinguer !
— Papa, ne lui parle pas comme ça…

Pauline retourne à sa contemplation de l’armée française. Il n’y a pas à s’en faire. Dès qu’ils retourneront au front, c’en sera fini du cocon européen.

22 juillet 2023
Osaka — Japon

— Vous en êtes absolument certain ?
— Soit j’ai raison, soit on a affaire à la coïncidence la plus hasardeuse de toute notre histoire.
— Bon. Est-ce que vous pouvez me résumer les grandes lignes de votre rapport ? J’ai une réunion avec l’état-major dans vingt minutes, et je n’aurai pas le temps de lire 86 pages de détails.

Takeshi prend une profonde inspiration, puis se met à faire les cent pas dans les bureaux de son supérieur.

— Comme je vous l’ai dit, on a affaire à des insectes capables de « voler » l’ADN des créatures vivant sur les planètes qu’ils colonisent.
— À partir de quoi est-ce que vous l’avez déduit ?
— Les batailles de ces dernières semaines ont été riches d’enseignement. Est-ce que vous saviez qu’un soldat égyptien s’était fait embrocher par une mouche munie d’une corne de rhinocéros ? Ou qu’en Russie, un scarabée avec des bois de cerf avait éventré un tank ? Ces bêtes ont été neutralisées, et les photos de leur cadavre sont assez éloquentes.
— Jusque-là, ce n’est pas trop inquiétant. Notre armement s’améliore lui aussi, tous les pays du monde y consacrent la plupart de leur budget.
— Jusqu’à maintenant, les envahisseurs n’ont pas exploré tout ce que la faune terrienne a à leur offrir.
— Vous pensez qu’il y a des animaux qui pourraient inverser le cours de la guerre ?
— Imaginez ce dont serait capable une araignée avec l’ADN d’un caméléon.
— Mmh…
— Mais il y a pire. Est-ce que vous connaissez les crevettes-mantes ? Là où la vision humaine se construit à partir de nuances de vert, bleu et rouge, la leur se fait avec seize couleurs, en plus d’une vision en 3D ou en ultraviolet, et leurs yeux pivotent à 360°. Cette espèce est aussi capable de donner des coups de poing frappant à près de 500 Newton. Si vous étiez doté de ne serait-ce qu’1/10 de sa force, vous pourriez lancer une balle de baseball en orbite. Je peux aussi évoquer la crevette-pistolet qui en faisant claquer une griffe sous l’eau, produit une bulle qui explose en provoquant une onde de choc à 5 500°C et 218 décibels.
— Alors c’est à cause d’une bande de crevettes que la race humaine risque l’extinction ?
— Pas seulement. Les mille-pattes dragon, qu’on trouve en Asie du sud-est, peuvent jeter de l’acide cyanhydrique sur leurs proies. Les coléoptères bombardier font la même chose avec un liquide corrosif en ébullition. Les bousiers sont des scarabées capables de soulever 1 000 fois leur poids. Plus connu, n’oubliez pas que l’axolotl peut régénérer des organes manquants comme des yeux, ou même une partie de son cerveau. Je ne parlerai même pas des anguilles électriques.
— Eh bien… il n’y a plus qu’à espérer que l’on conçoive une arme surpuissante avant d’en arriver face à des atrocités pareilles.
— Si on attend trop, elle n’aura plus aucune utilité.
— Pourquoi ?
— Avez-vous déjà entendu parler des tardigrades et des turritopsis ?
— Je ne crois pas.
— Les premiers sont des oursons d’eau minuscules résistants à tout : les déserts asséchés, le zéro absolu, les radiations nucléaires, les produits toxiques ou le vide intersidéral.
— Oh… et les autres ?
— Ce sont des méduses capables d’inverser leur processus de vieillissement et de retourner à l’état juvénile, ce qui en fait la seule espèce au monde à être théoriquement immortelle.
— Je… vais en avoir, des choses à dire à l’état-major…

15 aout 2023
Washington — États-Unis

Tous suivent avec attention la progression de l’armée. La salle de commandement, bien qu’entièrement remplie, est plus silencieuse que jamais. À côté du général Newman, le président est si concentré sur l’écran qu’il en oublie de cligner des yeux. Cette tension extrême n’est troublée que par les messages radio envoyés par les troupes, loin d’ici, à San Antonio. « Approchons du cocon. » Puis quelques secondes plus tard. « La bombe n’a pas été touchée. ». Un soupir de soulagement parcourt l’assistance. Si cette mission échoue, il sera très difficile d’en mettre une seconde en place. Puisque le missile nucléaire que les Indiens ont envoyé sur leur cocon n’a pas éraflé sa surface extérieure, une attaque de l’intérieur aura sûrement plus de succès. Sûrement. La survie du pays le plus puissant du monde ne tient qu’à une probabilité hasardeuse.

« Sommes dans le cocon ». Toutes les gorges déglutissent en même temps. Les images de l’antre des créatures leur parviennent, éclairées par les lampes de l’escouade. Un terrier géant, jonché de cadavres d’animaux éventrés. La vision du corps d’un adolescent dans le même état provoque une vague de vomissements dans l’assistance. Une femme en plein malaise est évacuée. Zack Newman s’efforce de sauver les apparences en restant stoïque. À sa droite, Roy Steelbean détourne le regard. Des bruits de tirs le poussent à revenir à l’écran. L’obscurité n’aide pas le commando dans sa lutte acharnée. Une nouvelle voix se fait entendre, remplaçant celle qui s’est définitivement tue au cours de l’attaque. « On pourra pas avancer plus loin. On pose la bombe ici ». Le général Newman s’approche du micro et s’exprime pour la première fois depuis une dizaine de minutes. « Protégez-la à tout prix. ». La voix lui répond au tac-au-tac « Bien, monsieur. »

Son cœur se serre chaque fois qu’il voit un soldat mourir. Combien étaient-ils, au moment d’entrer dans la tanière ? Soixante ? Ils ne sont plus que quatorze. La bombe explosera dans un peu moins d’une minute. Chaque seconde se gagne au prix du sang. Le drone-caméra est pris d’assaut par un cafard géant et finit au sol, privant le commandement d’images précieuses. Lorsque le dernier soldat pousse son cri d’agonie, le compte à rebours n’en est plus qu’à neuf secondes.

Président, généraux, tout le personnel de la Maison Blanche retient son souffle. En l’absence d’images, on devine que les monstres se sont jetés sur la bombe. Ça va aller, elle est résistante. Elle est censée être résistante. Il n’y en a plus que pour quatre secondes. Trois secondes. Les prières envahissent la grande salle. Une seconde. Tout le monde se fige lorsqu’apparait le chiffre « 0 ». Le monde s’est arrêté de tourner. L’état-major n’a aucun moyen de savoir ce qu’il est advenu de la bombe. Le silence dure beaucoup trop longtemps. Une voix retentit à la radio, incompréhensible, noyée dans un flot de larmes qui terrifie l’auditoire. « Parlez distinctement ! » l’enjoint Zack Newman. « C’est fini ! C’est fini ! » « Qu’est-ce qui est fini ? La bombe a détonné ?! » « J’suis à un kilomètre de là, c’est la plus belle chose que j’aie jamais vu ! Le cocon a explosé en mille morceaux ! »

La joie éclate si fort dans la salle de commandement qu’il en devient impossible de comprendre ce que quiconque dit. Pendant ce temps, à l’autre bout de la radio, le témoin continue à verser des larmes de joie.

3 septembre 2023
Londres — Grande-Bretagne

— Antenne dans cinq… quatre… trois…

La présentatrice se gratte une dernière fois le lobe de l’oreille, puis se prépare à prendre la parole.

— … deux… un…

Le signe que lui adresse la régie pousse Jenny Ruthford à se lancer.

— Bonsoir ! Nous venons de recevoir la confirmation, à Viennes, de la victoire des troupes européennes. Après le cocon du Texas et celui du Xinjiang, c’est maintenant le cocon d’Autriche qui vient d’exploser. Les pertes ont été extrêmement lourdes, puisque l’armée a perdu la moitié de son effectif dans les combats qui ont mené à cette grandiose victoire. Les régiments italiens, allemands et polonais ont été les plus touchés. Les bataillons espagnols s’en sont mieux sortis. Rappelons que l’armée américaine a également été amputée de moitié, et que celle de Chine a perdu les deux tiers de ses forces.

Ce n’est pas très professionnel, mais Jenny ne peut s’empêcher de dissimuler son sourire rayonnant.

— Le général en chef de l’armée européenne, le hongrois Tanas Ereban, a annoncé lors d’une conférence de presse en fin d’après-midi que les troupes victorieuses ne se reposeraient pas longtemps et lanceront dès le début de la semaine prochaine un assaut sur le cocon d’Afrique du Nord. Et maintenant, les nouvelles nationales. Le petit Jonathan, disparu depuis deux semaines, a été retrouvé dans…

9 octobre 2023
San Juan — Argentine

Une tonalité. Deux tonalités. Trois tonalités. Allez, décroche, décroche, se répète l’ingénieur.

— Allô ?! José ?! C’est toi ?!

Il saute de joie, et ce spectacle fait sourire ses amis restés à l’autre bout de la salle.

— J’arrivais pas à te joindre, maman !
— Je sais, je sais, des câbles téléphoniques ont été détruits dans les combats.
— Ils ont été réparés ?
— Non, mais on a dû bouger.
— Tu n’es plus à la maison ?
— Les insectes s’approchaient, l’armée nous a évacués vers Santa Fe.
— Est-ce que tu as vu les infos ?
— Non. Qu’est-ce qu’il y a ?
— Le cocon de Vancouver vient d’exploser !
— Ah, bien !
— « Bien » ? C’est génial, ouais ! Avec celui en Russie la semaine dernière et le cocon australien qui va pas tarder, ça nous en fait six !
— Oui, mais le nôtre continue à cracher ces monstruosités.
— C’est pour bientôt ! J’ai entendu dire que l’armée étudiait une stratégie. Et puis les États-Unis et le Canada vont bientôt venir nous aider !
— Ils vont d’abord s’occuper du Honduras et du Brésil, ils sont plus proches d’eux.
— Peut-être, mais c’est qu’une question de temps avant que ces saloperies se fassent exterminer !
— Oui… mais s’il te plaît, José, ne fais rien de dangereux.
— Évidemment ! Allez, je te rappelle ce soir !
— À ce soir…

Le jeune homme raccroche, puis rejoint ses compagnons le cœur léger.

27 octobre 2023
Bagdad — Irak

La première fois qu’ils se sont battus ensemble, dos à dos face à des nuées entières, Hamid avait frissonné, le cœur partagé entre sa foi et un désir ardent de survivre. Ali avait probablement ressenti la même chose, mais aujourd’hui, l’un comme l’autre s’assistent mutuellement sans la moindre gêne. Dans le régiment, on les appelle « Les Frères Ennemis ». « Frères » parce qu’ils ont construit, au fil des mois, une amitié sans faille, « Ennemis » parce que l’un est Saoudien, l’autre vient d’Iran. Deux musulmans rivaux, un sunnite et un chiite qui combattent ensemble un ennemi commun, voilà un spectacle qu’Hamid n’aurait pas cru voir dix ans plus tôt. Et leur cas n’est pas isolé. Juifs et musulmans ont également montré un front uni pour défendre leurs terres âprement disputées.

— Hé ! Pas le moment de lambiner !

Comme s’il avait besoin de le lui rappeler ! Les fusils d’assaut de toute l’escouade chantent à l’unisson, et leur concert sanglant repousse vague après vague les créatures qui auraient la mauvaise idée d’interrompre leur performance. Hamid esquive de peu le coup de patte tranchant d’une mante religieuse à taille humaine et se venge d’une rafale qui l’envoie en Enfer. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est concentrer l’attention de l’ennemi, mais ils n’arriveront pas à tenir éternellement. Ali peste entre deux lancers de grenade.

— Bon, elle se grouille d’exploser, cette putain de bombe ?

D’un coup d’œil rapide, Hamid regarde le gigantesque cocon. Ça doit bien faire quinze minutes que le commando y est entré. L’explosion pourrait survenir n’importe quand. En principe, ils en sont suffisamment éloignés pour ne pas être touchés… si tant est qu’elle explose un jour.

— Bordel de…

La phrase de l’Iranien est interrompue par une détonation assourdissante. Plusieurs gros morceaux de cocon les survolent avant de s’écraser plus loin. Un cri de triomphe parcourt ce qu’il reste de l’armée perso-arabo-juive. Hamza, fou de joie, tourne la tête vers Ali. Saisi d’horreur, il s’aperçoit que ce n’est pas la bombe qui l’a interrompu. Son visage est méconnaissable, partiellement dissous par un liquide verdâtre qui fond en fumant. C’est la première fois que ces démons utilisent une telle arme, mais ce n’est que la troisième fois que Hamid perd un ami proche. Lorsqu’il serre le cadavre du chiite contre lui en hurlant, il sait qu’il ne trouvera plus jamais un tel compagnon d’armes.

1er décembre 2023
Oslo — Suède

— Calmez-vous ! J’ai dit « Calmez-vous » ! TAISEZ-VOUS !

Enfin, une forme de quiétude revient dans l’assistance. Paulo Sanchez n’en revient toujours pas. Pourquoi doivent-ils se comporter comme des enfants alors qu’il y a tant d’enjeux ?! Le secrétaire général des Nations Unies soupire, puis regarde tour à tour le président américain et son homologue chinois.

— Écoutez, ce n’est pas parce qu’il ne reste plus que six cocons qu’il faut nous perdre en querelles inutiles. Où est passée cette union sacrée qui a eu raison du gros des forces extra-terrestres ? Ou bien pensez-vous que les pays qui restent menacés ne valent plus la peine d’être défendus ?!

Plusieurs chefs d’État regardent le sol, comme des gamins pris sur le fait.

— L’Argentine, la République Démocratique du Congo, le Groenland, le Botswana et le Kazakhstan ont été presque anéantis par les assauts des envahisseurs, mais dans chacun de ces pays, des hommes, des femmes et des enfants ne cherchent qu’à survivre jour après jour jusqu’à ce que les forces internationales conjointes les délivrent !

Le péruvien, prix Nobel de la paix en 2018, termine son discours d’une voix enflammée :

— Alors cessez ces broutilles ! Lorsque toute menace sera écartée, vous pourrez vous entredéchirer à loisir pour savoir qui a le mieux contribué à détruire tel ou tel cocon, mais il y a encore de nombreux efforts à fournir !

Un nouveau silence s’installe. Chaque camp se regarde en chiens de faïence. Américains et Chinois, Britanniques et Russes, Indiens et Pakistanais, Nord-Coréens et Sud-Coréens.

— Avant que vous ne repartiez de plus belle, voici Takeshi Kuramiya, un scientifique japonais dont les rapports alarmants devraient vous interpeller.

L’homme qu’il pointe du doigt s’avance lentement, nerveux. L’amas de feuilles qu’il tient tremble de façon incontrôlée. Malgré ça, il tâche de s’exprimer avec autant de clarté qu’il l’a fait dans le bureau de son supérieur, devant l’état-major japonais et dans quelques conférences à travers le monde.

— B… bonjour. La plupart d’entre vous a probablement dé… déjà eu vent de mes travaux, et ils ont été a… abondamment repris et commentés par les équipes scientifiques de… de vos nations respectives, mais on m’a demandé… enfin… je dois vous rappeler que si nous ne nous dépêchons pas de détruire les cocons r… restants, on n’aura plus aucune chance de gagner la guerre. Tout le monde a pu… remarquer que les insectes volent l’ADN des créatures terrestres. Mais il y a des créatures dont les gènes pou… pourraient changer le cours des batailles à venir ! L’humanité serait perdue si jamais ces bêtes mettaient les mains sur…

Le président de la Corée du Sud l’interrompt brutalement au moment où le scientifique commençait à se sentir à l’aise.

— Excusez-moi, mais je ne fais aucunement confiance à un envoyé du nouveau Japon impérial.

La Premier ministre japonaise réagit instantanément à l’insulte :

— Je vous demande pardon ?

Le président Chinois, appuyé par son camarade Nord-Coréen, se joint au pugilat verbal :

— Pour une fois que je suis d’accord avec lui ! Voilà dix ans que vous vous êtes mis en tête de rebâtir l’empire que la Seconde guerre mondiale a annihilé. Vos études sont forcément biaisées.

Le président Américain répond aussitôt en défendant son alliée controversée, auquel réplique le Russe, aussitôt interrompu par l’Allemand, rejoint par le Français et l’Italien qui sont à leur tour insultés par le Brésilien. En deux minutes, il est impossible d’entendre qui que ce soit, et Paulo Sanchez plonge sa tête dans ses mains pendant que l’invité nippon, au milieu de l’estrade, est complètement perdu.

8 février 2024
Terre Adélie — Antarctique

— Putain, c’est pas trop tôt !

Andrej fonce avec les autres au cœur de la mêlée. Face à eux, cette étendue blanche va bientôt se transformer en champ de bataille. Derrière le déferlement d’insectes, un gigantesque cocon n’attend qu’eux. Eux et la bombe qui va mettre fin à la guerre. Comme les dizaines de milliers de soldats à ses côtés, le Polonais a le cœur qui palpite d’excitation. Peut-être va-t-il mourir, mais tout du moins aura-t-il vécu un assaut conjoint de toutes les armées du monde. Un formidable instant d’unité, si l’on oublie les semaines de délai qu’ont entraîné les dissensions entre généraux. Pour des raisons plus chauvines que patriotiques, ils s’évertuaient à refuser les autres plans d’attaque que les leurs. Quel dommage que ces élites ne puissent pas prendre exemple sur la chair à canon, qui a depuis longtemps mis de côté les idéologies et frontières pour former une force uniforme et inébranlable. Lui qu’on trouvait raciste il y a encore quelques mois, le voilà meilleur ami avec un sergent éthiopien ! Dawit combat dans une autre unité, à l’autre bout de cette marée humaine.

Les premiers bombardements et tirs d’artillerie font des ravages dans les rangs ennemis, même si plusieurs avions sont abattus en cours de vol. Comme tout le monde, Andrej hurle de fureur lorsque vient le contact avec l’ennemi. Le premier insecte qu’il rencontre possède deux immenses pinces collées à son torse, et sa carapace a l’air solide. Le soldat opte pour un fusil à pompe et pointe le canon sur l’horrible tête de son adversaire. Celui-ci ne lui laisse pas le temps de presser sur la détente et son coup fulgurant le touche en plein cœur. Sa tête, seul partie intacte de son corps, vole à plusieurs centaines de mètres.

Ce qu’Andrej n’a pas réussi à faire, son voisin Hu l’exécute : d’une pression du doigt, il tire à bout portant dans la gueule de la créature, qui s’effondre. Mais d’autres arrivent déjà, et le Chinois doit s’occuper de nouvelles cibles. Tout concentré qu’il est, il ne voit pas se relever le corps de sa victime. Ce qu’il voit, en revanche, c’est une fourmi claquer d’énormes griffes sur lui. Il esquive l’attaque, mais ça ne l’empêche pas d’être carbonisé par la chaleur intense qui s’ensuit.

Dans le H.M.S. Stalingrad comme dans les autres vaisseaux de commandement, tous les officiers sont pris de panique.

— Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ?!
— J’en sais rien ! Ils se relèvent tous ! Les troupes se font anéantir !
— Vous n’avez pas encore sonné le repli ?!
— Si, mais ces saloperies courent plus vite !
— Hum…
— Commandant ?
— Fermez toutes les issues.
— Mais les soldats ne pourront plus entrer !
— C’est ça ou nous mourrons tous.

À peine a-t-il fini sa phrase que la vitre du cockpit se brise sous les assauts d’un gigantesque frelon. En guise de salutations, il envoie une cascade de liquide corrosif sur ses proies les plus proches.

— La Terre est finie.

13 mars 2024
Pretoria — Afrique du Sud

— Peter ! Je t’ai dit de ne pas courir sur le chantier !
— D’accord, p’pa…

Le petit garçon tape dans un caillou, puis s’éloigne. Sitôt soustrait à la surveillance de son paternel, il rejoint au pas de course ses amis pour les interroger.

— Hé ! Hé ! On fait quoi, maintenant ?
— J’sais pas. Moi j’dois retourner voir mes parents. Ils veulent que j’les aide pour reconstruire la maison.
— Pourquoi ils demandent pas à des ouvriers ?
— Les ouvriers, y sont occupés à refaire leur maison à eux…
— Sauf le père de Peter, il bosse juste là-bas, sur le chantier de m’dame Coetzee.

Lorsque l’assourdissante sirène d’alarme retentit dans toute la capitale, le père en question apparaît soudain derrière un mur effondré.

— P’pa ?

Il saisit la main de son fils et lance à ses camarades.

— Suivez-moi, vite ! Y a un abri par là !
— Qu’est-ce qui s’passe ? Ils sont revenus ?

Le temps de rejoindre l’abri souterrain du quartier, le petit garçon a la réponse à sa question. Non pas que son père ait daigné y répondre, mais le nuage noir au loin et le bourdonnement intense qui l’accompagne valent mille mots.

2 avril 2024
Minas — Uruguay

Marcello a beau tenter de bercer sa petite-fille cadette, celle-ci ne s’arrêtera pas de pleurer. Voilà vingt minutes qu’elle casse les oreilles des autres civils terrés dans cet abri, elle et d’autres bébés. Sa grande-sœur Daniella, suffisamment âgée pour réussir à garder son calme, se serre contre lui. De temps à autres, elle murmure d’une voix effacée, comme pour éviter que les monstres la repèrent :

— Papy, quand est-ce que ce sera fini ?

Et chaque fois, le vieil homme ne peut que répondre :

— Quand ton papa et ta maman viendront nous sauver.

Lui-même n’y croit pas, et ça lui fait mal au cœur de lui mentir, mais mieux vaut l’apaiser que de lui dire qu’il y a peu de chances que ses parents soldats aient survécu au « Massacre du Pôle Sud ». Voilà des semaines qu’ils se cachent ici, les nerfs à bout. On ne compte même plus les bagarres et les suicides. Pour la sixième fois de l’heure, le plafond tremble et laisse tomber une douche de poussière. Quelques grains tombent sur le visage d’Angela, et le nourrisson hurle de plus belle.

— Chhhht… calme-toi… je t’en prie…

Bien au contraire, ses cris s’amplifient lorsqu’un filet de lumière perce à travers le plafond, s’agrandissant à mesure que l’acide ronge l’acier. Lui aussi se met à hurler quand un flot grouillant se déverse du trou pour transformer l’abri en cuve baignée de sang.

5 mai 2024
Campagne du Stœng Treng — Cambodge

Cette charrette, c’est tout ce qu’ils ont. Une poignée de vêtements, deux ou trois statuettes religieuses, des provisions pour une semaine… Comme des milliers d’autres, la famille Sotha marche sur une longue route qui leur semble infinie. Un panneau leur indique qu’ils arriveront bientôt au Laos. À ce qu’il paraît, en Chine, ils ont des abris climatisés qui peuvent contenir des dizaines de milliers de personnes. C’est le genre de rumeurs qui parcourt la longue colonne de réfugiés. Elle est probablement fausse, mais tant qu’elle leur donne la force d’avancer, elle est plus que bienvenue.

Kuntheary trébuche et tombe. Sa mère lui conseille de sauter dans la charrette pour se reposer. Les mains de l’adolescente sont couvertes de cloques, à force de tirer cet immense bagage depuis des jours. Thom, lui, n’ose pas regarder l’état de ses doigts, mais ils ne sont certainement pas moins usés que ceux de sa sœur.

Un bruit désagréable se rapproche d’eux lentement, et tous sentent leur cœur se serrer avant de s’apercevoir qu’il ne s’agit pas d’une cohorte d’insectes, mais d’une moto. Son conducteur hurle quelque chose. La charrette s’arrête brusquement. Ses parents l’ont entendu ? Qu’est-ce qu’il dit, ce type ? Sa sœur se redresse elle aussi. Enfin, les avertissements du motard parviennent à portée de ses oreilles.

« Ils sont en train de massacrer tout de monde à l’arrière ! Abandonnez les charrettes ! »

La famille Sotha ne prend même pas le temps d’emporter des vivres avant de se mettre à courir.

11 juillet 2024
Oslo — Suède

Il a beau presser ses paumes contre ses oreilles, le président des États-Unis ne peut échapper aux cris qui l’entourent. Réfugié sous une table, il tremble comme une feuille pendant qu’autour de lui, les États perdent les uns après les autres leur chef. Un homme tombe à genoux, mais il ne voit son visage que lorsque sa tête choit à côté de lui. Kurtz Reinhardt, l’ex-chancelier allemand.

Roy Steelbean ferme les yeux et prie pour qu’on le sorte de là. Comment est-ce que tout cela est arrivé ? Lorsque la seconde réunion des dirigeants mondiaux a commencé dans la capitale suédoise ce matin, les insectes n’avaient même pas encore dépassé le Danemark ! Et voilà que l’alarme sonne, que les gens crient, et que ces démons volants brisent le plafond de verre pour massacrer les Grands de ce monde. Grâce à leur immortalité récemment acquise, ils peuvent grossir indéfiniment leurs rangs et déborder les défenses par le nombre. Bousculé, il rouvre les yeux et voit, à côté de lui, le président chinois tout aussi terrifié que lui. Avec un peu de chance, pense-t-il, ils ne regarderont pas sous les tables.

Mais les créatures n’en ont pas besoin : d’un coup de patte, un immense scarabée envoie leur cachette s’écraser à l’autre bout de la pièce. Encerclés, les deux dirigeants ennemis tentent de fuir chacun d’un côté, mais ne récoltent qu’un jet d’acide pour l’un et un coup de mandibule pour l’autre.

2 septembre 2024
Nuemboulé — Guinée

D’une main tremblante, Annette G’belo attrape la théière. Elle lance d’une voix chevrotante à son mari, restée au salon.

— Tu veux du thé ?

Il lui semble entendre ce « oui » faible qui a répondu à cette question pendant soixante ans. En manipulant les tasses avec soin, la vieille dame jubile :

— Tu te rends compte ? Ça fait presque un an et demi que le Jugement Dernier a commencé !

Le flot noir s’interrompt plusieurs fois, lorsque les secousses de ce maudit Parkinson se font trop brusques.

— Encore une paire de mois et la Colère de Dieu aura éradiqué tous ces dépravés, ces homos, ces musulmans, ces juifs, toute la lèpre qui pourrit notre terre !

En tâchant de reposer la théière vide sur la table, un spasme de sa main malade envoie la vaisselle à terre. Après avoir poussé un juron, la nonagénaire saisit les deux tasses et traverse lentement le couloir en poursuivant sa diatribe.

— Combien de fois est-ce qu’on l’a dit, Jean-Pierre, que ce monde décadent arrivait à sa fin ? Quand la lumière de Dieu chassera ce fléau, nous serons parmi les premiers au paradis !

Et comme tous les jours, à la même heure, et au même discours, elle n’obtient aucune réponse de son mari à demi-assoupi devant la fenêtre.

— Le Père Magawi m’a dit que les insectes ne s’attaquaient qu’à ceux qui avaient une vilaine âme. Et même qu…

Des tocs effrénés contre la porte interrompent la vieille dame et la surprennent au point de lui faire lâcher une tasse. Furieuse, elle se dirige vers la porte en pestant contre ce bris.

— Qui que ce soit, il a intérêt à nettoyer ça ! Je ne peux même pas me pencher !

À peine a-t-elle ouvert la porte qu’un homme se précipite à l’intérieur. Elle était sur le point de lui hurler de repartir lorsqu’elle reconnaît le prêtre du village.

— Oh ! Mon Père ! Qu’est-ce que vous faites ?!
— Annette, je me suis trompé ! C’est le Diable qui a envoyé ces bêtes !
— Vous êtes sûr ? Oh mais… votre bras !

Sans guère s’attarder sur la perte de son bras gauche, l’homme pieux se dirige dans le salon en attrapant son ouaille par l’épaule.

— Nous allons fuir par le jardin et nous cacher dans la forêt. Ensuite, si l’on prie suffisamment, le Seigneur nous sauvera.

Il se fige en passant l’embrasure de la porte, tandis qu’Annette lâche sa deuxième tasse. La voie vers le jardin est entravée par la moitié du corps de Jean-Pierre. L’autre moitié se trouve à l’intérieur de l’énorme araignée qui s’est discrètement fondue au milieu du plafond.

25 décembre 2024
Havenhill — Canada

— Joyeux Noël, Laura…
— Oui…

Les yeux de la petite fille se perdent quelques secondes sur la lueur de la bougie, puis elle se reprend, secoue la tête, et reprend :

— Joyeux Noël, papa et maman.

Sam gémit plaintivement, replié dans un coin de la pièce.

— Et joyeux Noël, Sam.

Elle s’en va caresser le chien, et tant pis si la bête lui laisse une touffe de poils sur la main. L’enfant retourne s’asseoir à la table, et savoure le cadeau familial : une petite pièce de viande à partager entre trois. Enfin quatre, avec l’animal. Un bruit, dehors, les fait sursauter. Tous fixent les deux bougies qui éclairent la pièce et se demandent s’il ne vaudrait mieux pas les éteindre. Elles restent allumées, et chacun tente de se détendre. La jeune Canadienne tente de se souvenir de la vie qu’elle avait avant, mais le plus lointain souvenir qu’elle réussit à se remémorer, c’est l’arrivée du cocon.

Lorsqu’un nouveau bruit extérieur interrompt le calme de la célébration, le père de Laura décide d’éteindre les deux seules sources de lumière de la pièce. Tous attendent, en silence, la suite des événements, mais rien ne vient. Une fois le repas consommé dans la pénombre, chacun va se coucher en espérant avoir la chance de manger à nouveau de la viande.

14 février 2025
Gujhambarat — Inde

La tombe est sommaire, mais elle fera l’affaire. Le jeune homme s’y recueille pendant cinq longues minutes, tandis que derrière lui, son meilleur ami s’impatiente.

— J’ai bientôt terminé, Pavak.

Asha… s’il ne l’avait pas quittée des yeux en quittant le dernier abri, elle serait encore avec lui, à rire et sourire malgré le désespoir. Maintenant, il n’a plus que son ami d’enfance.

— Merde, merde, merde, ils arrivent, Madan. Là, ça craint vraiment.
— O.K, on y va.

Le jeune homme grimpe sur la moto qui les attend derrière le mur de briques, tandis que son compagnon s’installe derrière lui.

— Y a intérêt à ce qu’ils nous aient pas vus…

Tout en enfonçant la pédale d’accélération, le veuf acquiesce, amer.

5 mai 2025
Tampa — Floride — États-Unis

Pour la quatrième nuit d’affilée, Brian n’arrive pas à fermer l’œil. Son regard, chaque fois, se tourne vers l’échelle. Comment est-ce que le reste de sa famille peut bien réussir à dormir ? Son frère se paie même le luxe de ronfler, ce qui contribue à son insomnie. Voilà deux ans qu’ils se sont enfermés dans cet abri antinucléaire, et sept mois que les piles de la radio ont fondu. Les rations peuvent encore les faire tenir au moins un an de plus, mais depuis que lui est venue l’idée que l’invasion était peut-être finie et le danger derrière eux, son isolement lui devient chaque jour plus insupportable.

Cette fois, il ne passera pas la nuit à se répéter « Il ne faut pas, il ne faut pas ». S’il ne va pas voir, il ne saura jamais ce qu’il en est. Il n’en peut plus de cette routine, à gagner pour la centième fois au même jeu de carte, et à perdre pour la cinquantième fois au même jeu de société. Il n’a peut-être que douze ans, mais il peut au moins partir en éclaireur. Discrètement, sans faire le moindre bruit, le garçon s’extirpe de son lit, met ses pantoufles usées et se dirige vers l’échelle. Un dernier regard vers ses parents et son frère assoupis, puis il monte une à une les barres jusqu’au sas, dont il a retenu le code.

Par chance, le bruit de l’ouverture ne réveille pas ses proches, et il n’y a pas le moindre souffle de vent susceptible de s’engouffrer dans le refuge. La ville, éclairée par la pleine lune, est dévastée, mais Brian est fasciné de voir un tel paysage pour la première fois depuis si longtemps. La vue des cadavres, plus souvent d’humains que d’insectes, lui arrache un frisson, mais il ne veut pas rentrer tout de suite. Une ombre dans son champ de vision manque de le faire crier. Il s’apprête à prendre ses jambes à son cou lorsqu’il en voit la source. Une fille, à peine plus âgée que lui, cheveux longs ébouriffés ; qui tient un sac. Ses vêtements sont à moitié déchirés et son visage couvert de suie montre qu’elle n’a pas eu la chance de bénéficier d’un abri. Il s’avance vers elle pour chercher à faire connaissance lorsqu’elle l’interrompt d’un geste, portant ensuite la main à ses lèvres. Rien ne lui indique pourtant qu’il y ait des ennemis à proximité, mais il décide de jouer le jeu et de se taire. Le garçon pointe du doigt le sac à dos d’un air interrogateur, et elle l’entrouvre nonchalamment pour lui laisser voir un chat mort. Il recule de quelques pas, choqué, et lui demande d’un murmure si elle compte le manger. La chasseuse de félins le regarde comme s’il était fou. Évidemment, qu’elle va le manger, sinon pourquoi est-ce qu’elle l’aurait tué ?

La fille finit par se sentir mal à l’aise en terrain découvert, et entreprend de faire demi-tour. Ne voulant pas lâcher la première personne hors de sa famille qu’il rencontre depuis deux ans, il la suit. Visiblement, elle ne veut pas de lui, et se met à courir pour le semer. Il l’appelle pour lui demander de l’attendre, mais ne réussit qu’à la faire courir plus vite. Arrivés dans un cul-de-sac, au milieu d’une rue barrée par un immeuble effondré, il chuchote entre deux souffles :

— T’as pas à avoir peur…

La fille sauvage le regarde brièvement et soupire :

— Toi, tu devrais.

Là-dessus, elle court vers la droite, escalade un bus détruit, saute sur le rebord d’une fenêtre et entre dans un trou tout juste assez large pour elle. Brian la regarde, le souffle court, et le cœur battant aussi fort que lorsqu’il était avec sa petite amie, avant la guerre. Il se promet d’essayer de la retrouver quand tout ça sera fini. Le son d’une pierre qui tombe l’interpelle, et en se retournant, il aperçoit un immense scorpion au sommet de l’immeuble écroulé. Se retenant de justesse de pousser un cri, il court le plus vite possible vers son refuge souterrain. Après avoir traversé une ancienne rue commerçante, il arrive face à la trappe qu’il a quittée dix minutes plus tôt ; et n’a que le temps de s’accroupir pour y descendre avant de sentir une chaleur intense au niveau de son estomac. En baissant les yeux, il voit un dard dépasser de son corps, puis tombe dans l’abri laissé grand ouvert.

30 octobre 2025
Banlieue de Glasgow — Royaume-Uni

— N’oubliez pas, les p’tits gars ! Si ça a plus de deux jambes et une sale gueule, ça n’est pas humain et ça veut votre mort !

William se redresse sur sa chaise et s’étire. C’est que ça fatigue, deux nuits blanches d’affilée. Ça ne l’empêche pas de retourner sur son micro quelques secondes après.

— À ceux qui écoutent pour la première fois Radio Survivor, je suis le Nain Secticide, et il a été scientifiquement prouvé qu’écouter cette station augmente vos chances de survie, votre culture apocalyptique et ralentit la chute de vos cheveux !

Un instant, le jeune homme se demande si on l’entend encore. Cette station émet jusqu’au nord de l’Italie, mais encore faut-il que les survivants puissent écouter la radio. Au moins, il n’a pas de concurrence.

— Ça fait maintenant un mois que j’ai pas eu de nouvelle du réseau des « Défenseurs de l’Humanité », en Allemagne. Ça ne peut vouloir dire qu’une chose, mes braves, c’est qu’ils sont trop occupés à exploser des saloperies venues de l’espace ! Les dernières nouvelles d’Asie indiquent que nos amis les petits chinois ont réussi à trouver un moyen de les abattre pour de bon ! Je suis sûr qu’ils nous vendront leur technique secrète à prix d’or !

Ladite technique n’existe pas et cela fait en réalité six mois que les résistants munichois n’ont rien communiqué, mais si William doit mentir pour que ses auditeurs gardent espoir, alors soit. Ce n’est pas très honorable, mais les gens voient suffisamment d’horreurs pour avoir droit à quelques rayons de soleil. Un bruit insistant derrière la barricade qui barre lui fait tendre l’oreille. Il fallait bien que ça arrive un jour. Se penchant sur le micro, le Nain Secticide lance :

— Navré, mesdemoiselles, mesdames et autres messieurs, mais la Gestapo à mandibules a retrouvé ma trace. Je vais vous laisser avec un peu de musique des années 90 pendant que je file à ma planque suivante. C’est parti pour du Nirvana ! Ciao, résistez bien !

William attrape le micro, une partie de son matériel, son disque dur externe et une dizaine de boîtes de conserve, puis ouvre les volets. La pluie va peut-être le gêner dans sa fuite, mais tant pis. Sac sur le dos, il ouvre la fenêtre tandis qu’une griffe creuse un trou dans la porte de son appartement. Après avoir sauté sur un toit de tôle, l’animateur de radio s’enfuit entre les gouttes sans demander son reste.

17 avril 2026
Chiwoljeong — Corée du Sud

En-dessous d’une bâche brune, de la même couleur que le sol, une gigantesque foreuse se repose. Hee Son-ki la fixe, les mains dans les poches. Une voix l’interpelle, et il se retourne pour voir Do Ban-joon courir vers lui, le front ruisselant.

— Chef, chef ! On a buté contre une énorme pierre !
— Vous ne pouvez pas la contourner ?
— Mon cousin a essayé de creuser sur le côté, mais apparemment c’est vraiment un gros truc ! Est-ce que…
— Je préfèrerais éviter.
— Mais…
— Allons voir.

L’ancien mécanicien, aujourd’hui chef du principal groupe de résistance intercoréen, jette un dernier coup d’œil à l’énorme machine dissimulée. Mieux vaut ne s’en servir qu’en dernier ressort. On ne sait jamais, avec le bruit que ça fait. Devant l’entrée du tunnel, des hommes et des femmes se précipitent sur lui pour lui parler du problème, mais il les fait taire en levant la main. On l’emmène dans les profondeurs du terrier, éclairé par plusieurs projecteurs à distance régulière.

— Voilà, c’est là-bas !

Le tunnel s’arrête à une paroi grisâtre, qu’Hee Son-ki touche çà et là pour en vérifier la résistance. Une femme lui tend sa pelle, et il tente d’en donner quelques coups. Des éclats de cailloux volent, mais le mur rocheux reste indemne.

— Alors, chef ?
— Pff…

Tout en faisant demi-tour, il lui lance d’une voix fatiguée.

— Amenez la foreuse.

Comment en sont-ils arrivés là ? Se terrer sous leur propre sol pour échapper à ces engeances ? Les rôles se sont si vite inversés…

1er novembre 2026
Au large du Chili

Lorsque les portes s’ouvrent, le cœur de Charles ne tient plus. À ses côtés, Miguel le calme d’une tape dans le dos.

— Hé, détends-toi.
— Comment tu veux que je me détende ? On tient peut-être un moyen de gagner !
— Mais si tu te calmes pas, on aura du mal à les convaincre de nos chances.
— Ouais… t’as… t’as raison…
— Allez, ça fait quinze secondes que les portes sont grandes ouvertes.

Les deux scientifiques entrent dans la grande salle de réunion. Le Belge et le Portugais s’assoient l’un à côté de l’autre au bout de la table. Le directeur-général prend la parole sitôt les quatre derniers retardataires arrivés.

— Bon. Ça va bientôt faire un an que cette base sous-marine est opérationnelle, mais on n’a toujours pas de piste sérieuse et à portée de nos moyens pour nous débarrasser des Invincibles.

Le coup de coude dans les côtes fait sursauter Charles. Voilà le signal pour se mettre à parler. Il se lève, se racle la gorge, et commence à expliquer :

— Excusez-moi. J’ai… enfin Miguel et moi avons peut-être quelque chose.

Tous les visages se tournent vers le duo, et le trentenaire s’en trouve encore plus stressé.

— On vous écoute, Charles.
— Alors voilà, on a pas encore eu l’occasion de tester ça sur un des trois cobayes capturés, mais il y a une fréquence d’ultrasons qui pourrait… peut-être… les tuer.
— C’est un petit peu léger, comme certitude.
— On a juste besoin d’un peu de temps et de moyens.
— Nos ressources et notre temps sont limités, il faut qu’on soit sûr que ça marche. En attendant une meilleure assurance de votre part, voyons voir si d’autres ici ont quelque chose.

À l’autre bout de la grande table, Michalos se lève instantanément, pas plus à l’aise que l’helvétique. Dans un anglais un peu hésitant, il explique

— Il y a quelque chose auquel je pense depuis plusieurs mois, mais je voulais être sûr que ça marche avant d’en parler…
— Nous sommes toute ouïe.
— Combien ici ont lu l’Illiade ?

Les participants à la réunion se regardent les uns les autres, interloqués. Certains ont étudié l’épopée, d’autres l’ont vue adaptée au cinéma, mais tous en connaissent l’intrigue. Plusieurs visages s’éclairent sous l’effet d’une compréhension soudaine. Le directeur interpelle le Grec :

— Est-ce que vous…
— Puisqu’ils peuvent absorber les gènes de leurs prisonniers. Offrons-leur un cadeau mortel. Un Cheval de Troie.

12 juin 2027
Campagne du Gujarat, Inde

Son outil s’enfonce dans le tas de terre sans même que ses mains demandent l’aval du cerveau. Lorsqu’il reprend ses esprits, Madan a déjà déposé cinq ou six pelletées de terre sur le corps de son meilleur ami. Ses yeux se posent sur son visage livide, peu à peu recouvert, et son esprit s’égare à nouveau vers le bon vieux temps. Et vers Asha. Depuis combien de temps est-elle morte ? Deux mois ? Deux ans ? Dix ans ? Il a perdu la notion du temps à force de se terrer dans des abris, qu’il ne quitte que lorsqu’ils sont pris d’assaut. Son estomac lui hurle de le nourrir. Il est fatigué, tellement fatigué…

Si fatigué qu’il n’entend pas tout de suite le bourdonnement derrière lui. Et lorsque son oreille perçoit le son, il se retourne au ralenti. Une guêpe géante sillonne le ciel à quelques dizaines de mètres de là. Elle l’a vu. Ce n’est pas très étonnant, d’ailleurs, planté comme il est au milieu d’une lande désertique à côté d’un trou à moitié rempli. Du coin de l’œil, il regarde la moto. Même s’il y restait de l’essence, il n’arriverait probablement pas à rivaliser avec la vitesse de la créature. Celle-ci amorce une descente en piqué. Il sort, toujours très lentement, son pistolet, et met en joue la bête. Puis il hausse les épaules. Le canon de l’arme réorienté sur sa tempe, il presse la détente avant que ne l’atteigne l’insecte

3 janvier 2028
Campagne Alsacienne — France

Elle a beau tourner et tourner encore le bouton du poste de radio, celui-ci n’émet qu’un grésillement continu. Lasse, elle pousse un long soupir de découragement. La porte d’entrée s’entrouvre, et son fiancé apparaît avec une poignée de carottes.

— Elles sont pas encore mûres, mais c’est ça ou rien. Les poules ont pondu que dalle.

Il aperçoit Julie penchée sur la radio.

— Encore là-dessus ?
— Ça fait quatre mois qu’on l’a pas entendu !
— Ce serait pas le premier à nous lâcher. D’ailleurs, ce sera bientôt le tour des piles de ce machin.
— Peut-être que le Nain Secticide est encore vivant, mais qu’il a plus accès à son matériel…
— Très honnêtement, je me fous pas mal de ce qui peut arriver à quelqu’un d’autre que toi ou le bébé. En plus, il a vraiment un nom à la con.

Chaque fois qu’elle pense à l’enfant qui attend son heure dans son ventre, elle est prise d’une profonde mélancolie. Pas de crise de larmes cette fois, mais juste une grande tristesse à l’idée que sa progéniture soit forcée de vivre dans un tel monde. Ils ont mis du temps à s’accorder sur le prénom : si c’est un garçon, ce sera Loïc, si c’est une fille, ce sera Amélie. Une pensée folle la prend.

— Tu crois qu’on devrait aller en Allemagne ?

Nicolas se retourne, éberlué.

— Pardon ?
— Là-bas, ils ont des réseaux de résistance… enfin, c’est ce qu’il disait, à la radio. Y en a peut-être en France, mais… oh, je sais pas… On pourra pas survivre ici pour toujours. Il suffit d’une mauvaise récolte, de quelques poules qui tombent malades, et on n’aura plus rien…
— Comment est-ce que tu veux rejoindre Munich ?
— On ne s’est pas servis de la voiture depuis des années, mais elle doit encore marcher.
— L’essence, ça a une date de péremption aussi.
— On a des vélos.
— T’es enceinte !
— Il doit y avoir d’autres moyens…
— Et si on croise une de ces saloperies ?!
— On sera prudents !
— J’espère bien ! Oublie pas qu’on est trois !
— C’est aussi pour lui que je veux faire ça !
— Je… mais…

Il prend sa tête entre ses mains. L’idée de rejoindre une communauté au lieu de rester isolés ici a de quoi le séduire, mais c’est tellement dangereux… La jeune femme enceinte de cinq mois se lève, s’approche de lui et le prend dans ses bras en murmurant.

— À toi de choisir…

30 mai 2029
Campagne de Punta Arenas — Chili

— C’est le moment de vérité…
— Ça fait deux heures et demie que c’est le moment de vérité.
— Je le sens mal, quand même…
— Hé, reste tranquille, on est bien cachés.
— On peut pas en dire autant du Cheval de Troie. Il est tellement à découvert qu’ils risquent de trouver ça suspect.
— Sois pas idiot, ce sont des insectes. Ils vont juste obéir à leur instinct, chopper la bête, l’emmener dans leur cocon et…
— Il est en Antarctique, leur cocon… Ça fait loin…
— C’est le meilleur plan qu’on ait.
— Oh merde, j’entends un bourdonnement ! Michalos ! Charles ! Fermez-la !

Et tandis que le scientifique portugais fait taire ses deux compagnons et observe travers des jumelles leur animal brouter l’herbe non loin de là, le son se rapproche. La difficulté n’était pas tant d’injecter dans ce cheval des gènes non-létales pour lui – quoique mortelles pour les insectes – mais surtout de le rendre suffisamment original pour pousser les créatures à l’emmener chez elles pour prélever son patrimoine génétique. Ainsi sa couleur jaune fluo sert à attirer l’œil, et la plupart de ses caractéristiques – une corne de licorne, des branchies, un poil long, etc. – ne sont qu’esthétiques et volontairement tape-à-l’oeil.

— On en a peut-être fait un peu trop…
— Chut !

Le frelon de taille humaine n’avait pas besoin de ce fragment de dialogue pour repérer les trois proies massées derrières un buisson. Aidé par une vision infrarouge héritée de l’un des animaux de ce monde, l’envahisseur s’empresse de débusquer le trio en blouse blanche.

— Eh merde ! On se tire !

Aucun des trois ne parvient à fuir sur plus de dix mètres tant la bête est rapide. Aucun n’a non plus la satisfaction de voir leur création être emportée par l’insecte géant.

11 septembre 2033
Webuye — Kenya

Samuel est sur le point de quitter la chambre d’un pas lent lorsque la voix de son petit-fils l’interrompt.

— Papy ! Tu peux me raconter une histoire ?

Allons bon. Le vieil homme s’empare d’une chaise, la déplace à côté du lit, s’y assit, et s’enquit des exigences de l’enfant.

— Quelle genre d’histoire tu veux ?

Le garçon réfléchit quelques secondes. Tant qu’il ne lui demande pas encore une fois de lui raconter Star Wars… Il n’a regardé les films qu’une seule fois, il y a quinze ans, mais il ne compte plus les fois où il en a narré les neuf épisodes à l’enfant.

— En fait, c’est pas vraiment une histoire que j’voudrais…
— Qu’est-ce que c’est, alors ?
— Comment c’était, la vie, avant ?
— Avant les insectes ?
— Maman m’a dit qu’elle était tout le temps dehors, mais c’est pas juste, moi quand j’y vais on me crie dessus !

Un sourire amer sur le visage, le vieil homme se souvient.

— Oui, à l’époque, la seule chose qu’on craignait, c’étaient les terroristes d’Al-Chabab, qui venaient de Somalie jusqu’ici.
— Somaquoi ?
— Le pays d’à côté. À l’époque, le continent était divisé en pays différents.
— Pourquoi ça ? On est tous pareils, nan ? On serait plus forts si on était tous dans un grand grand pays !
— Oui, certainement… et on n’en serait pas là…
— Et donc ces Al-Chatruc, ils faisaient quoi ?
— Pour faire peur aux gens, ils les massacraient.
— Ils sont un peu comme les insectes, alors !
— Peut-être, oui…
— On mourait de faim, aussi ?
— Parfois, oui, parce qu’on était un pays plutôt pauvre. Mais les pays plus riches nous envoyaient de la nourriture.
— S’ils étaient plus riches, pourquoi ils faisaient pas plutôt en sorte qu’on soit moins pauvres ?

Cet enfant a un esprit si vif, songe-t-il. Si seulement il était né à une époque différente…

24 aout 2039
Campagne bavaroise — Allemagne

Le cœur serré, Berthold attend. Ses pieds tapent à toute vitesse sur le sol terreux, mais impossible d’arrêter leur mouvement frénétique. Wilfred pose une main sur son épaule et le rassure d’un grand sourire. Ou plutôt, tente de le rassurer. L’ampoule vacille au-dessus d’eux, et les deux hommes prient pour qu’elle dure quelques jours de plus. Il n’en reste plus beaucoup, alors le jour où la pénurie touchera les sources de lumière, habiter dans les souterrains deviendra invivable.

Un bruit leur parvient de derrière la porte. Berthold se redresse brusquement pour se planter devant l’entrée de l’abri. La poignée tourne, et Olivia apparaît, épuisée. Elle tombe entre ses bras, blessée et trempée par l’averse. Il n’en faut pas plus pour que Berthold se mette à crier.

— Qu… qu… qu’est-ce qu’il s’est passé ?!
— Gerhard et Horst se sont faits avoir…
— Et toi… tu… tu saignes…
— C’est superficiel, je vais m’en sortir, t’inquiète pas !

Wilfred les regarde, quelques mètres plus loin, mais ne partage pas l’optimisme de la sœur de son ami. Depuis la disparition des antibiotiques, toute coupure, même superficielle, peut tuer n’importe qui si elle s’infecte, et comment aurait-elle pu ne pas s’infecter en étant exposée à l’extérieur ?

— Est-ce que tu peux m’emmener voir le boss ? J’ai des trucs à dire…
— L’infirmerie, d’abord ! Je t’emmène à l’infirmerie !
— Si tu veux… Wil ? Tu pourras demander aux chefs de venir me voir ?
— T’as du nouveau ?
— Juste une observation à partager.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Wil ! Arrête de la pousser à parler ! Il faut qu’elle se repose !

Avant que la femme ne disparaisse dans le dédale de tunnels, elle lui lance :

— J’ai l’impression… qu’il y en avait moins.

5 février 2047
Snowbury — Canada

— Laura, je t’en prie…
— Ça va aller, je serai prudente.
— Je t’ai interdit de sortir…
— J’ai 31 ans, maman, tu ne peux plus m’interdire grand-chose.

Elle ouvre la porte d’entrée, puis se retourne.

— Je serai rentrée dans quelques minutes.

Puis la Canadienne quitte la maison. Il y a quelque chose d’étrange dans l’air, et ce n’est pas la première fois qu’elle le sent. Déambulant dans les rues de ce minuscule village, elle ne peut que comprendre les inquiétudes de sa mère. Bien sûr, il y a des risques, mais…

Elle sursaute en voyant une araignée, à côté d’une boîte aux lettres coupée. La respiration haletante, réfugiée derrière une barrière, elle patiente une minute, deux minutes, et risque un coup d’œil par-dessus son abri. L’insecte n’a pas bougé d’un pouce. À bien y réfléchir, sa position n’est pas naturelle. Laura sursaute en voyant quelque chose se mouvoir, mais après avoir plongé sa tête derrière sa couverture, elle se met à réfléchir. Est-ce bien l’araignée qu’elle a vu s’agiter ? Elle se relève doucement, et inspecte plus minutieusement la bête. Il y a bien quelque chose qui bouge dessus, et ce quelque chose ne tarde pas à s’envoler en poussant un croassement. Une fois le corbeau éloigné, elle s’approche lentement de l’aranéide. Elle est morte. Dans un jardin, en dessous d’une balançoire, une fourmi géante a l’air dans le même état, et un cadavre de guêpe est à moitié suspendu dans le vide, au-dessus de l’épicerie. Au pas de course, elle regagne sa maison, ouvre la porte à la volée, et trouve sa mère dans le salon. Un grand sourire aux lèvres, elle lui crie :

— C’est fini !

29 juillet 2055
Terre Adélie — Antarctique

Jamais Goël n’a pris tant de plaisir à enjamber des cadavres. Lui qui n’a pas le moindre souvenir de son enfance d’avant le cataclysme, le voilà à imaginer ce que sera la vie une fois ce cauchemar derrière eux. Ses yeux, comme ceux de ses compagnons, se délectent de cette vue : une étendue de corps d’insectes morts. Un membre de la résistance thaïlandaise s’amuse à tirer dans la tête des envahisseurs. Il ne connaît pas grand monde, ici. Il a fallu plusieurs années pour que les principaux groupes de survivants puissent se rencontrer et organiser cette expédition commune. Avec l’arrêt des serveurs d’Internet et la coupure des lignes téléphoniques, il n’était pas chose aisée de se joindre d’un bout à l’autre du monde.

Moshé, un peu plus loin, lui adresse un signe du pouce. C’est le seul autre Israélien de l’escouade. Il le rejoint à petites foulées, puis ensemble, ils progressent jusqu’au cocon.

— Quand est-ce qu’ils vont en sortir ?

Une voix dans son dos lui répond.

— Maintenant.

Le chef de l’expédition, un néerlandais taillé comme une armoire à glace, sort avec d’autres européens.

— Alors ?

Il lui adresse un grand sourire, puis porte le talkie-walkie à sa bouche.

— Amenez les explosifs. La voie est libre.

17 novembre 2061
Dochaniya — Russie

D’habitude, Oleg esquive les obstacles qu’il voit, et ils ne manquent pas : voitures laissées à l’abandon, barricade, bâtiments effondrés… la conduite en milieu urbain est toujours éprouvante. En revanche, lorsqu’il voit sur son chemin un cadavre d’insecte, il ne peut s’empêcher de lui rouler dessus. La petite secousse accompagnée du craquement qu’il entend à travers la fenêtre lui procurent une joie intense. Mais il ne doit pas oublier sa mission première. Main gauche sur le volant, main droite sur le micro, il poursuit sa logorrhée.

— Mesdames et messieurs, ces bâtards d’insectes ont décidé de tous mourir d’un coup ! L’occupation est derrière nous ! La peur est derrière nous ! La faim est derrière nous ! Et devant nous, y a plein de trucs super cools qui nous attendent !

Après avoir passé des mois à écumer la Sibérie à bord de ce camion équipé d’un haut-parleur, l’imagination d’Oleg s’est pour le moins émoussée, et tout ça sans le moindre résultat. Les villes et villages qu’il a traversés étaient déserts.

Cette fois-ci, le Russe n’y croit guère plus. Comme toujours, il va parvenir jusqu’au panneau signalant la sortie de la ville sans croiser personne, et comme toujours il…

Il freine par réflexe, comme si l’obstacle devant lui était une moto à terre ou un mur effondré. Mais l’obstacle qui barre sa route agite les bras. Oleg sort aussitôt du camion sans pouvoir dissimuler son euphorie, et la survivante qu’il a trouvée est toute aussi soulagée, le visage noyé sous des larmes de bonheur. Le bébé dans ses bras est plus troublé par ces effusions de joie qu’autre chose, et le garçon qui s’accroche aux jambes de sa mère semble méfiant, aveuglé. Il n’a pas dû voir la lumière du jour très souvent. La jeune femme se jette sur lui et lui demande d’une voix tremblante.

— C’est fini ?! C’est vraiment fini ?!
— On peut difficilement faire plus fini, mademoiselle. On a pas trouvé une de ces saloperies vivantes depuis des années ! Allez, montez, je finis mon tour de l’État et je vous emmène à Moscou !

5 mai 2063
Rome — Italie

La vue de toute cette foule rassemblée a de quoi le décontenancer. Jamais il n’avait vu autant de personnes ensemble en un même point : la place est bondée. Plus stressé que jamais, Loïc s’avance vers le micro. Il ne commence à parler que lorsque les acclamations se sont tues.

— Humains et humaines, nous avons attendu ce jour depuis longtemps ! Rares sont ceux parmi nous qui se souviennent de ce que fut le monde avant l’arrivée des Invincibles, mais l’humanité n’oubliera jamais ce qu’elle a vécu sous cette occupation de presque quarante ans ! La solidarité entre proches, entre voisins, entre peuples nous a permis de survivre jusqu’à aujourd’hui. L’entraide est l’essence de notre race. Nous ne sommes pas seuls dans l’univers, et qui sait quelles autres créatures vivent autour de nous ? Combien d’entre elles feraient la même chose que ces insectes ? Nous devons nous affirmer comme une race commune, avec des valeurs qui nous sont propres. Que sont les différences de couleur de peau, de religion ou d’idéologie politique ? Qui que nous soyons, où que nous soyons, notre sang est toujours rouge. Ce sera long. Je ne serai peut-être pas là pour voir naître un monde rassemblé sous une même bannière, mais cette ville ne s’est pas créée en un jour. Unifions les continents pour mieux unifier le monde ensuite. Je vous remercie.

Loïc quitte le balcon sous les applaudissements pour se réfugier dans la fraîcheur du palais, tandis que le président européen prend la relève. Un assistant apporte de l’eau au premier ministre du continent, puis lui demande.

— Vous y croyez, monsieur ?
— À quoi ?
— Un monde uni.
— Nous sommes déjà unis. Ce traumatisme commun n’est que le point de départ d’une histoire commune. Vous ne vous en apercevez pas encore, Pablo, mais nous sommes en l’an zéro d’un nouveau calendrier. Ce qui ne tue pas l’humanité la rend plus forte.

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